Les roses du ciel ne sont pas toujours bleues

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« Le bleu du ciel n’est pas toujours rose. » C’est un titre magnifique, celui du petit texte que Maryline Desbiolles, aux Editions des cendres, a consacré à Denis Roche, qui était son éditeur. Avec sa verve et son inventivité habituelles, elle brode autour de sa silhouette, insistant sur sa véhémence, sur son tempo, sur l’intensité de son propos : « Enumérer ce qu’il fut n’a pas de sens. Ce n’est pas bleu, or et rose, l’un après l’autre, l’un à côté de l’autre, mais bleu, or et rose d’une seule touche, frappée si fort que la barre de caractère déchire le papier. Une trouée, un aperçu. »

L’autrice sera à la Méridienne, le samedi 3 février à midi, invitée par le festival Mille fois le temps. 

« Je t’appelle parce que j’ai décidé de quitter notre bas monde et que j’aimerais beaucoup te donner des livres pour ta Boutique. » C’est ce que m’a dit Anne Grau, fondatrice de ce qui est désormais cette si charmante librairie chaux-de-fonnière. Elle était d’abord connue comme La plume. On y était, dans une de ses versions, accueillies par une cheminée. 

Je suis donc monté la trouver, un mardi matin de grand soleil. Nous avons parlé livres, contes et images. Elle m’avait préparé un sac avec tout Gary, et pour le reste, je pouvais prendre tout ce que je voulais, d’Anne Sylvestre à Virginia Woolf, en passant par Colette. 

Il n’y a pas eu de place pour le pathos ; elle était décidée et joviale. Elle ne relisait pas de littérature, plutôt des ouvrages sur le français.

21 déc. 2023 — je me suis envolée comme une plume à l’âge de 79 ans, au-delà des maux, avec mille mots en tête et l’aide d’Exit. Voilà ce qui a été publié dans ArcInfo. 

Le 22 décembre, un monument ayant également énormément œuvré pour le livre en Suisse romande est décédé : Michel Moret. Fondateur et directeur des Editions de l’Aire.

Deux personnalités et deux parcours diamétralement opposés, mais deux personnes dont le lien aux textes aura été de dévouement et de pleine imprégnation.

C’est dans un canapé donnant sur « notre » saule pleureur, cet arbre me rappelant invariablement mon grand-papa (il m’en avait dessiné un, la seule fois où nous avons joué ensemble au Pictionary ; je n’avais pas été foutu de le reconnaître.), cet arbre qui est en fait un attrape-lumière, qui sait peut-être aussi un attrape-songes, que j’ai commencé l’année, avec dans tout le corps, se diffusant lentement, la joie d’heures de lecture tous azimuts.

« Lisotter au hasard », écrit Pirotte dans ses « Traverses », voilà ce que j’aime, mais qui, avec le temps, avec les kilomètres de humage de pages au compteur, ressemble souvent davantage à dresser mes antennes de sourcier et à tenter de me laisser « appeler ».

Robert Bober, dont la voix me bouleverse (celle de papier et celle que l’on peut entendre par ici, écrit de belles choses à ce propos dans son dernier livre, ramené de la Méridienne juste avant Noël.

« Je ne peux pas te vendre un livre de Bober, alors je te le donne. »

C’est ce que m’a répondu Chantal, quand je lui ai dit que je voulais rentrer de ce moment si particulier (la cérémonie laïque en hommage à Anne) avec un livre qui prendrait grâce sur une de mes étagères comme un tesson d’amitié et d’admiration. Il le sera donc doublement.

Je ne voudrais pas ce que premier déblogage, au diapason de la lettre d’information, soit seulement une longue litanie de disparitions (Bober était très ami avec Perec), mais c’est aussi cela l’hiver, et j’ai besoin d’écrire ici aussi ma grande émotion quand j’ai appris qu’une dame habitant à Neuchâtel, alors qu’elle avait pratiquement 90 ans, a appelé son notaire pour changer son testament : elle souhaitait léguer ses livres à la Boutique. De vous l’écrire j’en frissonne à nouveau.

Comme quand je pense à ce que Dalil, mon neveu, a dit à ma grande sœur, alors qu’elle pleurait en écoutant « Le paradis blanc », de Michel Berger, un morceau qui nous fait invariablement penser à notre maman : « Si je pouvais, je demanderais au Père Noël de ressusciter ta maman. » De ses huit ans d’altitude, il ne l’a pas connue, mais Leila lui en parle souvent, et quelques photos sont saupoudrées dans leur maison.

Le 6 janvier, cela faisait onze ans. On s’est donné rendez-vous chez notre grand-maman (elle a été hospitalisée avant Noël et nous avons dû nous résoudre, depuis lors, à ce qu’elle ne retournerait pas chez elle). Leila est arrivée alors que je nettoyais sa cuisine et mes joues à grandes eaux, en écoutant Freddie Mercury à plein tube. « Si j’étais au concert, ce serait quand même encore bien plus fort, non ?!? » me disait-elle souvent, quand j’arrivais et que sa bicoque tremblait tellement elle avait mis à fond. 

On est allés manger à Mauborget ; c’est déjà là que nous étions montés contempler notre passé, le jour où son suicide n’a pas foiré. Le lac était tellement important pour elle, c’est bien de l’embrasser pratiquement dans son entier pour se la remémorer dans ses élans, ses amours, ses empêchements et ses fébrilités.

C’est à elle, et à Béatrice, décédée le jour avant que j’apprenne que la Boutique était à remettre, et avec qui j’ai partagé tellement d’éléments autour du cinéma, du voyage, de la musique et de la lecture, que j’ai envie et besoin de dédier cette entame de blog, qui sera je l’espère un balcon non pas du jura, mais de nos joies et de nos peines, en la grotte livresque et au-delà. 

Nous y balbutierons que si les roses du ciel ne sont pas toujours bleues, il arrive quand même qu’elles s’ennuagent en de vertigineux camaïeux dessinant la pluralité de nos intériorités remuées.